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CLUB ANDARE IN GIRO

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Francisco de Zubaràn, peintre des choses, moins baroque qu’il n’y paraît…

Pubblicato da oleg su 1 Ottobre 2013, 14:03pm

Tags: #Exhibitions and Events

http://www.palazzodiamanti.it/pix/zurbaran_ferrara_29.jpg«Et pourquoi pas Zurbaran?» me dit une amie, à jamais bouleversée par l’Agneau du Prado, si lumineux et si vrai, et par la Ste Agathe du musée Fabre, (à Montpellier), dont les couleurs hors du commun, jaune, rouge et violet, éclatent sur un fond noir…

Et pourquoi pas, en effet! à condition de laisser aux Historiens d’Art le peintre des moines, de la dévote Séville et de la Contre-Réforme militante, pour nous attacher au peintre des choses, maître du clair-obscur et du naturalisme, qui parle à notre sensibilité post-cézannienne; et pour nous demander si ténébrisme et réalisme suffisent à faire de Zurbaràn un représentant du Baroque, un «Caravage espagnol», comme on se plait à le qualifier.

 

  1. Le peintre des choses: 

Zurbaràn n’a pas hésité à toucher à tous les genres de la peinture, des plus nobles (religieux, mythologique et historique) au plus vulgaire: la nature morte ou bodegón ; mais il est vrai qu’en ce XVII° siècle débutant, l’exemple vient de l’Europe entière: le Caravage applique sa technique réaliste aux objets inanimés et peint son Panier de fruits (vers 1597-1598) avec une pleine conscience de faire œuvre d’art; Bruegel de Velours réalise son premier grand bouquet (en 1603) et, de l’autre côté des Pyrénées, un peintre médiocre, Francisco Pacheco, fait l’éloge des natures mortes peintes par le jeune Velazquez, son gendre (L’art de la peinture, traité posthume publié en 1649). La voie est donc ouverte… 

 

Vers 1633, Zurbaràn réalise deux bodegones, au sens strict du terme: la nature morte aux poteries, visible au Prado (Madrid), et celle aux agrumes, à la Norton Simon Foundation, de Pasadena. Ce sont deux chefs-d’œuvre fondés sur le contraste ombre-lumière et sur une austérité inconnue chez les Italiens ou les Flamands: deux espaces minimalistes, dans lesquels l’ordinaire devient extraordinaire!

 

  • la nature morte aux poteries séduit par sa simplicité; six objets lumineux,  sur une surface sombre, se détachent sur un fond noir; tous choisis parmi les ustensiles de la vie domestique: trois vases en terre cuite, un en vermeil, deux d’entre eux reposant sur des assiettes étamées. Ils sont alignés sur un même plan, sans la moindre séparation, au point qu’on imagine Zurbaràn se plaisant à les peindre séparément. Rien de corruptible, ni d’organique (fleur, fruit ou insecte) n’est là pour signifier le passage du Temps et ses ravages. Rien de symbolique, non plus; la composition, on ne peut plus simple, n’est pas au service d’une narration mais de la lumière (vrai sujet du tableau), qui permet à Zurbaràn d’exprimer son goût pour les reliefs et les matières brillantes ou mates. Enfin, la rare économie de moyens fait penser à l’art français (à Lubin Baugin, notamment) et crée une étonnante impression de sérénité, quasi religieuse. 
  • la nature morte aux agrumes n’est pas moins admirable: quatre citrons sur une assiette métallique; dans un panier, des oranges, surmontées de leur feuillage et de quelques fleurs,  une tasse en terre cuite sur une assiette métallique avec une rose. Intensément éclairés par une lumière venue de la gauche et sobrement alignés, ils se détachent de la surface noire et ne sont séparés que par une ombre.  Un subtil équilibre entre les tons chauds des fruits et du panier et les tons froids de l’argenterie et de la tasse permet de rendre la texture et le volume de chaque objet.  Zurbaràn a très habilement représenté l’aspect matériel des choses: la rugosité de la peau des agrumes est rendue par des reflets verts et bruns, le luisant des feuilles d’oranger et de l’assiette étamée par un jeu d’ombre et de lumière, le polis de la table, aux contours bien dessinés, par une touche lisse, presque émaillée. Mais par-delà le rendu des matières, on est frappé, ici aussi, par le calme de la scène, qui invite à la méditation voire à la prière; et voilà peut-être pourquoi les contemporains du peintre voulaient voir dans ces humbles objets des symboles religieux: les trois motifs seraient une allusion à la Sainte Trinité; les fleurs d’oranger, la rose et l’eau seraient un hommage à la pureté de la Vierge… N’apparaissent-ils pas dans d’autres tableaux dans lesquels la Vierge est le motif principal: la Madone de 1658 et l’Extase de Marie enfant?

Quoiqu’il en soit, ces deux natures mortes ont une séduisante simplicité et répondent par anticipation à l’interrogation du poète: «Objets inanimés avez-vous donc un âme?» 

Mais surtout, elles transcendent le Temps et réalisent les noces de l’Esthétisme et du Mysticisme, qui sont la marque de Zurbaràn! 

  • Alors, on ne s’étonne plus de retrouver des détails de natures mortes enchâssés dans les grandes compositions religieuses. Voyez la Maison à Nazareth, où fleurs, fruits, vannerie et table sont peints avec autant d’attention que la Vierge laborieuse et le jeune Jésus, se blessant, de façon  prémonitoire, avec une couronne d’épines; de même, dans l’Annonciation, trois objets s’imposent avec autant de force que les protagonistes: la corbeille à ouvrage au premier le plan, le lys et la table de lecture de Marie au second, tous minutieusement représentés. Ou encore dans les Disciples d’Emmaüs, où la matérialité du repas le dispute à l’immatérialité du corps du Christ ressuscité, qui se fond dans le ténébrisme extrême de la scène; là tout est fait pour attirer le regard sur le repas lui-même:  la blancheur de la nappe et l’éclat plus blanc encore de la mie, qui donnent du relief aux ustensiles et aux aliments (olives, cardons, fromage et pain), toujours très simplement juxtaposés, comme chez Cézanne, ou, pour revenir à Zurbaràn, comme dans le Repas des Chartreux; c’est vaste nature morte autour d’une table en L, avec bol, pichets et écuelles de terre cuite, contenant des tranches de viande fraîchement coupées, avec nappe juponnée  jusqu’à terre et serviettes sur lesquelles sont posées des miches de pain; la monochromie (blanc des soutanes, de la nappe, desserviettes et des terres cuites) et la monotonie des ustensiles, répétés sept fois, est rompue par le jeu des ombres qui met l’accent sur leur disposition subtilement décalée vers l’avant ou l’arrière de la table.

Zurbaràn aime les objets du quotidien, au point de leur laisser une place privilégiée dans ses toiles; et c’est, sans doute, ce goût qui rencontre la sensibilité moderne plutôt que sa tentation baroque.

***

  1. Les velléités caravagesques:

Il a, en effet, été influencé par le génie Italien et ses œuvres des années 1620 portent la marque du Caravage (Le Christ en croix de Séville, le St Sérapion de Hartford, le St Pierre du Prado, la Mort de St Bonaventure et la Tentation de St Jérôme trahissent cette velléité baroque: en attestent le savant bouillonné des tissus, le profil fortement souligné des adolescents, la recherche d’effets dramatiques et les tentatives de peindre le mouvement); mais si l’on met côte-à-côte leurs productions, la comparaison est redoutable pour Zurbaràn (les 2 st Pierre, les 2 morts, les 2 ste Ursule, les 2 ste Lucie, etc…): l’Espagnol n’a pas la fibre baroque!

  • Rappelons brièvement que pour être baroque l’on doit avoir :

-une conscience aiguë du Temps qui passe et du Mouvement qui emporte toute chose vers sa destruction,

-un goût de l’Éphémère et de l’Illusoire,

-un sens théâtral de la vie

-et une morale de la Précarité fondée sur l’art de jouir avant de mourir.

Or Zurbaràn fait preuve d’une étonnante économie des moyens (ses natures mortes nous l’on montrée), d’un surprenant Immobilisme et d’une absence de dolorisme qui l’éloignent précisément du Baroque.

  • Voyez plutôt sa série de Vierges Miraculeuses et Martyres: toutes sont représentées en pied et de profil -tantôt gauche, tantôt droit-, sur un fond sombre, selon un stéréotype propre à Zurbaràn… Toutes ont l’allure noble, sont richement vêtues et parées et se contentent de brandir l’attribut de leur identité: Ste Isabelle de Portugal et Ste Casilda un panier de pains miraculeusement changés en roses, Ste Lucie un plateau sur lequel sont posés ses yeux énucléés, Ste Agathe ses seins coupés, Ste Apolline ses dents au bout d’une tenaille, etc… Mais surtout, toutes sont impassibles, n’expriment ni la stupeur d’être élues par Dieu, ni la douleur d’avoir été mutilées; aucune n’exhibe de plaies et pas la moindre humeur ne coule de leur corps, les larmes, le sang et la sueur sont totalement absents de leurs majestueux portraits. On est à mille lieues des turbulences baroques!
  • Il en va de même avec le St Sérapion, véritable litote picturale sans dolorisme, ni voyeurisme; Zurbaràn représente le martyr mercédaire (qui a fait vœu de sang pour racheter l’âme des sceptiques) bouche entrouverte, mais il hurle moins de douleur qu’il ne laisse échapper un souffle de lassitude; à bout de résistance, il suggère ainsi l’horreur de la torture qu’il subit. Tout est pudeur et retenue, sobriété et demi-teinte, comme dans le grand art classique, loin des «boucheries baroques», du cri déchirant de l’Isaac du Caravage.

***

Ainsi Zurbaràn ne tient pas la comparaison avec Le Caravage; il situe ses tableaux hors de l’instant, ignore la représentation de l’action en train de se faire et préfère une profonde intériorité, sans spectacle.

Fonte: http://annstein.unblog.fr/2012/03/10/francisco-de-zubaran-peintre-des-choses-moins-baroque-quil-ny-parait/

 


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